Conférences du P. Shayne Craig, PSS, Supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice et de Mgr Jean-Marc Micas, PSS, évêque de Tarbes et Lourdes  

Face à la diversité des contextes ecclésiaux dans le monde, quels défis pour le discernement vocationnel, la formation des futurs prêtres et la collaboration ecclésiale ?

 

Intervention de Monseigneur Jean-Marc Micas, évêque de Tarbes et Lourdes

 

1. Le discernement vocationnel : de quoi parle-t-on ?


M. Olier, au 17e siècle, disait qu'il fallait entrer dans le sacerdoce ministériel « par la porte de la vocation ». Cela signifiait que l'on pouvait y entrer autrement sans doute… A l'époque des abbés commendataires, on pouvait devenir prêtre par intérêt financier, afin de s'assurer une rente. Le roi pouvait distribuer des évêchés pour des motifs analogues… Dans le contexte du 17e siècle français, période de renouveau mystique, spirituel et missionnaire, dans l’esprit de la Réforme du Concile de Trente qui avait été sensible au schisme avec les protestants et à ses causes, notamment pour ce qui concerne l’état du Clergé, Jean-Jacques Olier et d’autres promeuvent une autre façon de devenir prêtre : « il faut entrer par la porte de la vocation », c’est-à-dire sur la base d’un désir personnel intérieur et spirituel, et d’un appel formel de l’Eglise qui discerne les aptitudes pour le ministère.


Les séminaires sont au service de la décision libre d’une personne à se proposer à l’appel de l’Eglise pour devenir prêtre, et au service de la décision de l’Eglise d’ordonner telle personne pour le ministère de prêtre.


Les défis à relever par ces maisons et institutions qui servent ce double objectif (permettre à une personne de discerner sa vocation et de se former, et permettre à l’Eglise de discerner la vocation de cette personne, et de la former), est celui de bien faire ce pour quoi elles sont faites. A cela plusieurs conditions :


- Savoir ce qu’elles doivent faire (vision) :


o Être au clair sur ce que sont les prêtres dans l’Eglise catholique (question de théologie du sacerdoce ministériel, articulé au sacerdoce baptismal) ;
o Être au clair sur ce qu’est la vocation au ministère de prêtre (souvent il y a confusion entre l’importance du désir personnel qui l’emporte sur le discernement réel d’aptitudes pour le ministère : on ordonne s’il n’y a pas d’objection à le faire, plus que s’il y a de bonnes raisons pour le faire !) ;
o Être au clair sur les éléments essentiels de la formation, en matière de personnalité humaine, de personnalité spirituelle, intellectuelle et pastorale ;
o Être au clair sur les contextes ecclésiaux et sociétaux où les futurs prêtres auront à vivre et à exercer leur ministère : ils sont différents d’un continent à l’autre, mais aussi parfois d’un diocèse à l’autre…


- Être bien équipées pour le faire :


o Personnes qualifiées en nombre suffisant (directeurs spirituels, professeurs, experts en sciences humaines, curés et laïcs compétents pour former les futurs prêtres et leur permettre de bien entrer dans le ministère…) ;
o Institutions stables et sereines qui suscitent confiance et fierté sur le long terme.

 

2. La formation des futurs prêtres


Elle est réglée par des normes (ratio) établies par le Saint-Siège pour le monde entier qui fixe les attendus et les axes pour y parvenir, fixant quelques passages obligés pour tous et ouvrant des options pour tenir compte de la diversité des contextes où l’Eglise vit et exerce sa mission, et les conférences épiscopales nationales qui précisent les affaires pour leur région de compétence (pour nous, la France).


A l’intérieur d’un même pays, peuvent exister diverses propositions, en fonction de la géographie, de charismes de tel ou tel institut, de l’histoire, de sensibilités ecclésiales ou missionnaires. Ainsi, en France, 25 maisons forment les futurs prêtres qui seront demain dans nos diocèses. Ces maisons sont des séminaires diocésains « classiques » (Issy-les-Moulineaux est un de ceux-là, mais aussi Rennes, Nantes, Orléans, Bayonne, Toulouse, Aix, Toulon, Lyon, Paris et Strasbourg), deux SU (Carmes et Rome), le séminaire Saint-Paul VI qui commence à former des séminaristes tout en leur permettant de poursuivre des études universitaires, la maison de formation de la Communauté Saint-Martin, le séminaire d’Ars de la SSJMV, celui de l’Institut ND de Vie à Venasque, du Prado à Lyon ou de la Mission de France à Paris, ou encore 5 séminaire Redemptoris Mater pour les prêtres du Chemin NC incardinés dans nos diocèses…
Le défi pour toutes ces institutions est d'être conformes à la mission que l’Eglise leur assigne : discerner la vocation des futurs prêtres, et les former de manière adéquate pour « donner aux évêques les collaborateurs dont ils ont besoin pour exercer le sacerdoce apostolique » comme le dit la prière d’ordination. Ça, c’est un défi universel, quels que soient les contextes. En France, s’ajoute le fait d’avoir des séminaristes en nombre suffisant pour la vie et la dynamique communautaire, pour leur équilibre financier, d'avoir des équipes de formateurs et formatrices compétents (pas seulement bons profs mais au clair sur tous les points mentionnés), libres et courageux pour ne pas subir la pression imposée par le petit nombre de séminaristes (entre 600 et 700) et les besoins objectifs de la mission de l’Eglise.


Le défi est aussi de former des prêtres qui incarnent bien ce que l’Eglise catholique dit de ses prêtres, en matière de solidité de vie personnelle, d’accompagnement des membres de l’Eglise, de soutien de l’engagement missionnaire de tous les baptisés, d’attention aux périphéries telle que le formule le Saint-Père avec Insistance mais aussi plus simplement l’évangile du bon samaritain, de service de la communion dans l’Eglise, de la communion de l’Eglise (œcuménisme), de dialogue avec les autres religions et avec la société. Tout cela à l’intérieur d’un même pays !


Dans la diversité des contextes ecclésiaux dans le monde, le défi est celui de la catholicité ! Ces derniers temps, on a entendu dire que telle décision du pape valait éventuellement pour un continent mais pas pour un autre, alors même que le pape est au service de l’Eglise universelle. Pour le monde de la formation au ministère de prêtre, ce défi n’est pas petit : quand on forme des prêtres, on les forme pour un diocèse et un contexte particulier, mais aussi pour l’Eglise universelle : l’Eglise catholique est une seule et même Eglise, où qu’elle soit dans le monde. Un prêtre diocésain appartient à un diocèse, il partage sa culture et ses particularités, mais il porte aussi le souci de l’Eglise universelle. Dans nos séminaires, nous accueillons des séminaristes qui ne sont pas tous d’origine française, et d’autres qui ne seront pas prêtres en France. Le défi est de former des prêtres qui soient bien catholiques, à la fois de quelque part et de l’Eglise tout entière. Je me souviens de la difficulté que l’on a pu avoir à se sentir toujours compétents, comme formateurs, à discerner la vocation de candidats africains ou vietnamiens par exemple… Question pas simple !

 

3. La collaboration ecclésiale


Derrière ce titre enfin, je pense au synode sur la synodalité. Le pape a dit que la synodalité fait partie du code génétique de l’Eglise catholique. Elle n’est donc pas une question de sensibilité, de style, de goût ou d’opinion… Elle exige une adhésion de foi et des savoirs faire, notamment dans la manière d’exercer la charge pastorale et la gouvernance.
Or, le défi n’est pas petit, et il n’est pas le même partout, selon la culture des pays où on se trouve.


Les habitudes et les cultures comptent beaucoup : habitudes quant à la manière d’exercer le ministère, culture du chef différente selon les pays…), figures du rôle de l’homme, du père, conceptions du rapport homme-femme, de la démocratie… Tout cela impacte notre sujet.


Le défi est aussi bien pour les prêtres que pour les autres. On parle de cléricalisme du côté des prêtres, mais pas seulement ; il y a aussi une conception de la synodalité qui a du mal avec l’institution de l’Eglise comme hiérarchie apostolique, il y a aussi la cléricalisation possible de laïcs appelés à des responsabilités pastorales ou ministérielles, etc., etc.


Pour les séminaires, le sujet n’est pas petit : on se tourne souvent vers eux quand dans les paroisses les complémentarités ne se vivent pas toujours harmonieusement, qu’il y a des revendications de pouvoir ou d’autorité de toutes parts… C’est un défi pour l’Eglise catholique entière, autant que pour les séminaires, mais voilà…


Je n’en dirai pas plus sur ce point, mais ma conviction est que le défi est celui de la transmission de la conviction que dans l’Eglise catholique, fondée sur les apôtres et sur la mission singulière de Pierre au service de l'unité de tout le corps ecclésial, tout le monde grandit à la fois, ou disparait à la fois. Il faut sortir de la vision trop fréquente de conflits de pouvoir en « vases communiquants » (plus de prêtres = moins de laïcs, et réciproquement).

 


Intervention du P. Shayne Craig, Supérieur général de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice

Face à la diversité des contextes ecclésiaux dans le monde, quels défis pour le discernement vocationnel, la formation des futurs prêtres et la collaboration ecclésiale ?

 

1. Vocation et liberté

Comme Monseigneur Micas, mon propos s’articulera autour de la question de la vocation, et de ce qui est central à la vocation, au fait d'être appelé, à savoir : la question de la liberté. Comment pouvons-nous aider les candidats qui se présentent à répondre à l’appel du Christ en pleine liberté ? La question de la liberté est complexe et amène à son tour plusieurs autres questionnements.

Par exemple, au Canada anglophone et aux États-Unis, on trouve un pourcentage élevé d’étudiants étrangers. Ils viennent des pays catholiques profondément traditionnels, ou il y a souvent une question de "honte" à ne pas continuer. Donc, la question de la liberté intérieure se manifeste de cette manière dans ce cas de figure. Assez souvent ils sont motivés par le désir d’aider financièrement leur famille. La question de la liberté intérieure se pose aussi face à des candidats ayant subi une pression psychologique.

Au Canada, les candidats sont pris en charge financièrement par les diocèses. Ils contractent alors une dette financière mais aussi morale à l'égard du diocèse qui les accueille. Cette situation pose une nouvelle fois la question de la liberté spirituelle des candidats au sacerdoce. On perçoit chez plusieurs une crainte de "l’échec" ainsi qu'un renvoi du Séminaire. Ainsi, ils sont souvent tentés de ne pas prendre de risque par peur de l'échec, de ne pas attirer l’attention sur eux en cas de difficulté rencontrée durant leur parcours de formation. Cela pose la question de la transparence et de la liberté spirituelle.

Pour les candidats au sacerdoce venant du Canada, c'est un autre profil qui se dessine. Le candidat est assez souvent un enfant unique ou bien issu d'une petite fratrie. Comme dit le Pape, ils sont souvent des "petits princes", profondément aimés par leurs familles, mais au point d’être trop protégées et chéris. Comme dans leurs familles, lorsque l’Église les envoie au Séminaire, là aussi, il sont chéris, aimés, voire excessivement estimés... et de fait les vocations canadiennes sont très rares !

Dans les deux cas, nous pouvons nous retrouver avec ce que le Saint-Père a appelé des "monstres de narcissisme" : donc, comment les rendre pleinement libres pour servir les autres ?

L’un des effets d’être si aimé, chéri, et protégé de l’échec, c’est qu’ils ont peu de capacité, ou aucune capacité, à faire face à l’échec ou à la souffrance. Quand survient la moindre difficulté, ils sont tentés d’abandonner ou de quitter. C'est pourquoi, dans le cadre de leur formation et pour les aider à discerner, on constate le recours croissant à un suivi psychologique. En effet, au moins la moitié des séminaristes reçoit ce type d'aide à court terme.

En plus, avec si peu de vocations locales, il y a peut-être un danger d’essayer de "retenir" des candidats... au détriment de leur liberté spirituelle. Ce mouvement peut s'expliquer par un manque de liberté intérieure des accompagnateurs et des directeurs spirituels. Là encore, seule une relation approfondie avec Dieu permet de ne rechercher que sa volonté et pas la nôtre.

Dans d’autres endroits et pays, j’ai noté la préoccupation des évêques et des formateurs à ce que les candidats aient une relation authentique et transparente avec leurs formateurs et leurs directeurs spirituels. Cela afin de leur permettre de ne pas se cacher par peur d’être mis dehors, s’ils en venaient à montrer le moindre problème (avec la chasteté par exemple).

Comment favoriser cette relation de confiance, qui permet d’aborder ces questions et d'accompagner les candidats ?

Je pense qu’il faut insister sur le rôle de l’accompagnement personnel, que le cœur de la formation sacerdotale est la direction spirituelle, que chaque prêtre-formateur - comme le prévoit l’approche sulpicienne - soit surtout un directeur spirituel qui favorise cet accompagnement en profondeur, et pas simplement sur le plan formel. L'approche sulpicienne est un acquis pour l’Église, afin de favoriser le développement d’un climat de confiance et un vrai accompagnent pour le discernement de la volonté de Dieu. Parce que seule la volonté de Dieu compte à la fin. Faire sa volonté nous rend heureux, rend heureux les autres ainsi que l’Église. Si on ne le fait pas, on est malheureux, et on rend l’Église malheureuse. Mais pour faire la volonté de Dieu, ça présuppose une véritable liberté intérieure – de la part de chaque candidat, mais aussi, de la part de chaque formateur, en vue de faire la volonté de Dieu.

 

2. La question sociale et culturelle ou comment témoigner ? 

L’un des défis que doivent relever ceux qui travaillent au discernement des vocations sacerdotales, c'est l'opposition culturelle et sociale qu'ne telle vocation suscite, y compris dans des cultures traditionnellement chrétiennes. Ceux qui entrent au Séminaire doivent faire face à un choix dramatique en acceptant de se séparer de leurs contemporains, et ce à plusieurs niveaux.

Cependant, une fois qu’on a franchi le pas – avec tout ce que cela implique – qu’est-ce que cela signifie pour la mission du futur pasteur ? Car on est ordonné précisément pour rejoindre, dans la mission, ces mêmes contemporains. Mais si l’identité s’est formée « en opposition » – comment retrouver le chemin de la communion ? Comment combler l’écart ? Comment porter de bons fruits au milieu d'un monde et d'une culture qui s'inscrit en rejet ?

D’où le risque de certains jeunes prêtres d’être pris entre deux extrêmes : celui d'un « guerrier culturel » qui ne s'inscrit qu’en opposition, ou celui d'un prêtre trop proche de son contemporain dont le message chrétien se diluerait dans la culture du monde.

Cela explique la nécessité d’une formation profonde et intérieure qui soit pleinement catholique afin de forger le cœur d’un bon pasteur qui s’identifiera au peuple auquel il est envoyé.

 

3. Collaboration ecclésiale : « TUTTI, TUTTI, TUTTI »

Il y a un fameux écrivain anglais, qui dit de l’Église Catholique : « Here comes everyone ! » Comme dit le Pape Francois : « TUTTI, TUTTI, TUTTI ! »

Plus nous avançons et plus il est clair que nous serons l’Église ensemble, ou que nous ne serons pas l’Église du tout. Mais cet esprit de communion, de synodalité, si vous voulez, fait face à un temps où il y a une polarisation croissante au sein même de l’Église. L’un des défis consiste à former des prêtres qui ne sont pas partisans, qui ont le « sensus ecclesiae », le sens commun de l’Église.

Nous ne pourrons y parvenir qu'en impliquant les différents éléments qui constituent la communauté ecclésiale dans le processus de formation. D’où l’importance d’initiatives comme le programme propédeutique, l’importance d’un temps d’insertion pastorale dans les paroisses, où les futurs prêtres servent aux côtés des autres baptisés et se montrent capables d’apprendre d’eux, l’implication des pasteurs locaux, la présence des femmes dans le processus de formation (dans les expériences pastorales, comme professeures impliquées dans la formation humaine).

De plus en plus, dans le monde entier, nous voyons qu’il faut tout un village pour élever un enfant, et il faut toute une Église pour former un pasteur, un bon pasteur.

C’était la conviction de M. Olier, que pour le renouvellement de l’Église, il n’y a rien de plus important. Il a trouvé ses frères et sœurs comme des brebis sans Pasteur, avec des Prêtres mal préparés, parfois même, avec un cœur de "fonctionnaire". Il a voulu former le Peuple de Dieu d’être de vrais chrétiens, des saints. Cette tâche exige d'être de bon pasteurs, de saints pasteurs qui sont, eux-mêmes, bien formés dans la foi, des bons Chrétiens qui sont capable mener et guider le Peuple de Dieu.

 

Paris, le 8 avril 2024

logo sulpiciens