M. John Baptist Hogan, pss (1829-1901)

Son rôle aux avant-postes du renouvellement des études bibliques dans la deuxième moitié du XIXème siècle 

Dans sa biographie sur le père Lagrange, le père Montagnes , souligne combien l’année passée au séminaire de Saint Sulpice, par le futur fondateur de l’Ecole Biblique, a été déterminante pour sa vocation d’exégète. Lui, ainsi que Battifol, Hyvernat et Mignot, futur archevêque d’Albi, ont bénéficié des apports de quelques sulpiciens, surtout de M. John Baptist Hogan.

L’itinéraire de ce dernier est assez exceptionnel. Né d’un père irlandais et d’une mère française – périgordine – il est invité par son oncle prêtre du diocèse de Périgueux et Sarlat, à venir faire ses études ecclésiastiques en France, d’abord à Bordeaux puis au séminaire de Saint Sulpice à Paris. Ordonné prêtre à presque 23 ans le 5 juin 1852, il décide d’entrer dans la Compagnie de Saint Sulpice. Ses aptitudes sont vite remarquées et nombreuses : une facilité pour les langues, une grande maîtrise de soi alliée à une grande bonté venant d’une capacité d’écoute assez exceptionnelle. Sa finesse psychologique lui acquiert rapidement l’estime des personnalités du moment : Montalembert, Dupanloup, de Mun…

A cela il faut ajouter un bilinguisme parfait qui lui donne l’occasion d’être aussi en lien avec les hommes marquant le « Réveil d’Oxford » que ce soit du côté catholique ou du côté anglican . Et certainement est-ce à partir de ces échanges que progressivement se déploie chez lui cette nécessité de mieux connaître et de mieux faire connaître les richesses de l’Ecriture, en particulier dans la veine des découvertes de l’école de Tübingen ; loin donc des fastidieuses paraphrases des séminaires français de l’époque dont son confrère Fillion fut à ce titre emblématique.

john baptist hogan

A 55 ans, il répond à l’appel de prendre à Boston la responsabilité de la direction du séminaire en 1884. Puis cinq ans plus tard il participe à la fondation du séminaire de Washington, dont il devient le premier supérieur. En 1894 il est rappelé à Boston où il a comme adjoint James Driscoll . Malade, il revient en France en 1901, où il ne tarde pas à décéder le 30 septembre.

Quelle était la manière avec laquelle il intégrait l’Ecriture à son enseignement ? Manière qui a tant frappé ceux qui allaient devenir les maîtres d’œuvre de la « réforme catholique » de l’exégèse : Lagrange, Hyvernat , Driscoll, Battifol et tant d’autres….

Un passage de la lettre du supérieur général au moment de son décès, rappelle les traits essentiels de sa pédagogie : « Aussi son enseignement tout en restant classique, revêtait-il un caractère d’actualité auquel il devait beaucoup d’attrait et d’utilité. Quelques-uns de ses élèves eussent bien quelquefois souhaité plus de solutions précises, plus de règles invariables, plus d’affirmations et moins de questions. M. Hogan se préoccupait surtout de stimuler et d’ouvrir les esprits, de les faire penser par eux-mêmes, de former leur jugement pour l’application des principes et beaucoup de prêtres lui ont conservé une reconnaissance profonde pour le profit intellectuel qu’ils en ont tiré. Il convient de dire néanmoins qu’il aurait rendu son enseignement plus universellement utile en insistant davantage sur les thèses et donnant moins aux objections dans lesquelles son esprit se complaisait ». Cette appréciation en dit long déjà sur le changement radical de méthode que John Hogan prônait.

Mais il faut aussi connaître le positionnement du supérieur général de Saint Sulpice M. Lebas à ce moment précis. Ce n’est pas seulement la méthode pédagogique qui est visée, mais aussi le contenu. Or, nous sommes plongés en 1901 dans la « crise moderniste », le père Lagrange est déjà suspecté et le séminaire de New York commence à être le lieu de fermentation d’une crise qui éclate en 1905. M. Lebas a été élu cette même année 1901 supérieur général à la faveur de la démission de M. Captier – très lié justement à John Hogan – et étant d’un profil plus rassurant quant à l’orthodoxie théologique. Il est certain que M. Lebas avait depuis longtemps mis de sérieux freins à ce qu’il considérait comme les nouvelles théories quant à l’étude de la Bible, en particulier durant son long supériorat à Lyon.

Dans le fond le départ de M. Hogan pour Boston était-il une sorte de « sacrifice » comme le disent les documents officiels de la Compagnie, ou alors une manière déguisée de le conduire déjà hors de France ? – selon l’adage promoveatur ut moveatur –. John Hogan a d’abord été marqué par la pensée de Lacordaire et de Dupanloup, ainsi que par la manière dont Newman concevait le déploiement du dogme chrétien. Il a aussi pris connaissance des travaux allemands de Moehler et de ses successeurs à Tübingen. Finalement arrivé aux Etats-Unis d’Amérique, il comprend parfaitement les débats qui agitent les séminaires en cette fin de XIXème siècle. Face à la pluralité des expressions de foi chrétienne, vécues dans le nouveau continent, il perçoit avec encore plus d’acuité la nécessité d’une solide formation à l’Ecriture Sainte. Aussi surtout pendant son temps de supériorat à Washington entre-t-il en relation épistolaire étroite avec l’aile pensante du « modernisme » : Hulst et Loisy lui-même. Son ouvrage Clerical studies est suspecté par Rome.

La mort de M. Hogan ne règle aucunement les différents aux USA, bien au contraire. Un de ses anciens élèves James Driscoll, ayant suivi sa formation biblique auprès du père Hyvernat à Rome, est nommé en 1902, supérieur du séminaire de New York. Ce dernier s’était fait remarquer en traduisant un livre de M. Houtin : La question biblique chez les catholiques de France, livre mis à l’index par le Saint Office en 1901. Or à New York, M. Driscoll trouve une équipe de formateurs très qualifiés en Ecriture Sainte, et très influencés par les découvertes de la nouvelle exégèse. Certains de ces enseignants sont même des orientalistes de premier niveau. Aussi par cette coloration orientale et bibliquement « ouverte » le séminaire de New York apparaît comme un des lieux « d’avant-garde » aux USA. La mise en œuvre d’un périodique dans lequel apparaissent toutes les signatures des personnes les plus impliquées pour défendre les thèses nouvelles, suscite un conflit violent entre le supérieur général de la Compagnie de Saint Sulpice et le provincial des USA ; ce conflit s’achève finalement par la décision presque unanime de tous les directeurs de l’équipe du séminaire de démissionner de la Compagnie et parallèlement leur maintien par l’archevêque de New York d’alors.

Cette figure de M. Hogan est peu connue dans l’histoire de la Compagnie et au-delà, mais elle nous permet de considérer comment la question de l’évolution de l’enseignement biblique est né puis a progressé dans certains milieux ecclésiastiques de France. Hogan n’était pas un bibliste à part entière, mais il avait compris les enjeux théologiques des questionnements – à la suite des travaux de Tübingen et Oxford – et a su impulser un mouvement qui a conduit Lagrange, Hyvernat, Battifol à opérer un radical « Wendepunkt ». En ce sens, il mériterait que des chercheurs puissent élaborer des travaux à son sujet.

Source : M. Philippe MOLAC