Dans le cadre de ses enseignements à l’Institut de Science et de Théologie des Religions de Paris de L’Institut Catholique de Paris, le père Henri de La Hougue, pss, collabore régulièrement avec l’Institut de Théologie de la Grande Mosquée de Paris. Du 20 au 27 février, il a été invité par la Grande Mosquée de Paris à faire partie d’une délégation pour visiter les lieux saints de l’islam chiite en Irak, rencontrer les responsables religieux et politique d’une des quatre grandes écoles chiites d’Irak, la marja’iyya al-Hakîm et rendre hommage aux chrétiens morts dans les attentats perpétrés à l’église du Perpétuel Secours de Bagdad. Il présente ici brièvement les trois éléments les plus marquants de son voyage.
Visite des lieux saints chiites
Les chiites duodécimains pensent qu’Alî, cousin et gendre de Muhammad, ainsi que onze de ses descendants, ont reçu de Dieu un charisme spécifique pour guider spirituellement la communauté musulmane. Ce charisme n’a pas été reconnu par la majorité des musulmans, les sunnites qui sont entrés en conflit armé avec eux dès les débuts de l’islam. Dans ce cadre, Alî a été assassiné en 661 et son Fils Husayn en 680 à Kerbela.
La spiritualité chiite est très marquée par le martyr de ces douze imams (le douzième n’étant pas mort, mais étant occulté apparaîtra à la fin des temps) et les chiites se rendent en masse à Najaf et Kerbela, où ils commémorent le martyr d’Alî, de Husayn et de ‘Abbas, demi-frère de Huzayn.
Najaf est à quelques dizaines de kilomètres des ruines de Babylone. C’est un endroit que les musulmans appellent Wadi Salam, ou Wadi quddus, vallée de la paix, ou vallée sainte, car ici sont passés d’après la tradition musulmane Adam, Eve, Noé, Abraham et quelques prophètes coraniques. Après être arrivés, nous avons eu une première visite très émouvante du tombeau d’Ali avec une foule de familles et de pèlerins qui faisait un peu penser à la foule des sanctuaires chrétiens, comme Lourdes ou Fatima. Avec notre hôte, Sayyid al-Hakim, nous avons pris le temps d’entendre les prières de dévotion des pèlerins, puis d’aller toucher le tombeau. Les milliers de pèlerins chantent des invocations en mémoire du deuil des imams, beaucoup d’iraniens se frappent la poitrine en signe symbolique de flagellation pour communier au martyr des imams.
Toutes ces dévotions sont impressionnantes ; on sent un beau climat de prière. On assiste aussi à des scènes de gens qui portent des cercueils et font trois tours du sanctuaire avant d’aller enterrer les morts. Des gens qui sont morts à plusieurs centaines de kilomètres viennent ainsi se faire enterrer dans cette ville sainte.
A Kerbela, il y a deux grandes mosquées avec au cœur de chacune les tombeaux de Husayn et de ’Abbas. ’Abbas est l’intercesseur auquel on confie spécialement toute les causes difficiles : maladie, impossibilité d’avoir des enfants, etc. Une grande piété populaire s’est instaurée et de nombreux miracles ont eu lieu ici, comme à Lourdes.
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Dans le sanctuaire de Husayn, on est tout de suite impressionné par le lieu. La cour intérieure a été couverte par un superbe toit en céramique avec des motifs iraniens. Tout est magnifique. À peine entré, on entend les compteurs raconter en pleurant l’histoire de la mort d’Husayn, tout le monde se joint aux pleurs par des cris et des pleurs, lors des pauses du récit. Certains groupes se frappent la poitrine en poussant des cris de pleurs ou en chantant des implorations, le tout dans un rythme envoutant. Nous nous rendons ensuite au tombeau où je me joins à mes compagnons musulmans pour les invocations spéciales faites à Husayn : prière d’action de grâce pour la bonté de Dieu qui se manifeste à travers l’imam Husayn. Une première série d’invocation se fait avant d’entrer dans la pièce du tombeau, puis on approche du tombeau et on fait une deuxième série, puis on va toucher le tombeau... Certaines personnes sont en larmes, d’autres poussent des gémissements, d’autres touchent le tombeau sans rien dire... un peu plus loin, nous reprenons une deuxième série d’invocation. Puis je m’assieds à côté de mes compagnons qui, eux font la prière rituelle. Je récite le tasbih (chapelet musulman) de la manière suivante : 33 fois « Merci Seigeur », 33 fois « pardon Seigneur », 33 fois « gloire à toi Seigneur ». J’en fait plusieurs en remerciant le Seigneur de me donner une telle expérience de communion avec mes amis musulmans. À la fin l’un deux me dit avoir fait une du’a (prière) spéciale pour moi. Nous repartons tranquillement. en repartant, nous voyons des groupes qui arrivent en chantant le récit du martyr d’Husayn.... Eux viennent d’Arabie Saoudite.
Visite des autorités religieuses chiites
Nous avons eu de nombreuses rencontres avec les autorités religieuses chiites, et notamment de l’un des quatre chefs spirituels (marja’) des chiites d’Irak : le marja’ al-Hakîm. Il rappelle le principe fondamental de la séparation du spirituel et du temporel ; la marja’iyya ne veut pas se mêler de politique. C’est d’ailleurs la doctrine des quatre marja’iyya d’Irak, contrairement à l’école actuellement au pouvoir en Iran, incarné par Ali Khamenei (pour lequel les religieux irakiens n’ont vraiment pas de considération). Nous avons rencontré de nombreux universitaires, assister à des cours, visité les bibliothèques et discuter avec ces cheikh de manière très libre. Le climat de liberté et de confiance était impressionné. Sayyid al-Hakîm, qui nous accompagnait tout le temps, m’a dis sans cesse qu’il ne voulait pas me laisser repartir en France sans qu’il ait pu répondre à toutes les questions que je me posais sur le chiisme.
Visite des chrétiens de l’église du Perpétuel Secours
Nous avons eu une visite émouvante de l’Église du Perpétuel Secours où se sont déroulés les attentats le 31 octobre dernier. Maintenant le site est ultra protégé : murs anti déflagration, check point... Le prêtre qui nous reçoit nous explique que quand les terroristes sont venus, la police qui garde l’église habituellement n’était plus là depuis une semaine. Les terroristes sont rentrés pendant la messe, armés de grenades, de fusils-mitrailleurs et de ceintures explosives. Les prêtres qui se sont approchés d’eux pour leur parler ont été tués tout de suite. Ils ont ensuite tiré un peu partout. La plupart des paroissiens se sont allongés au sol, essayant de se protéger derrière les corps inertes. Plusieurs se sont réfugiés dans la sacristie ou un des terroristes est entré et a ouvert le feu. Ils ont ensuite fait la prière rituelle de Maghreb, puis se sont fait exploser à différents endroits de l’Église. L’ensemble a duré plus de quatre heures et la police n’est pas intervenue... ce qui est absolument anormal, vu la surveillance habituelle de l’Église. Pour le prêtre, il s’agit surtout de conflits tribaux ; pour Abd al-Karim, l’irakien qui fait partie de notre voyage, il s’agit d’un attentat monté par certains services secrets de pays sunnites voisins qui veulent montrer l’incapacité des chiites à assurer la sécurité des minorités (sachant que quand c’est des chrétiens qui meurent, le monde entier en parle, contrairement aux attentats contre les chiites qui ont lieu très régulièrement)...Nous prenons le temps d’une prière, tous ensemble : le prêtre et moi récitons le Notre Père en arabe, les musulmans font une prière pour les morts et terminent par la fâtiha.
Le dimanche, j’ai concélébré la messe avec eux. Quelques amis musulmans m’accompagnaient.