Mss 253-254 : L’admirable vie de Sœur Agnès de Jésus [par un religieux de la Congrégation de Saint Maur à Paris, 1647] 

 

Paternité des manuscrits 253 & 254

L’attribution du manuscrit anonyme de l’Admirable vie de Sœur Agnès de Jésus a toujours posé question. L’une des pages de garde porte une note qui indique : « par un religieux de la Congrégation de Saint Maur qui pourrait être Dom Grégoire Tarrisse » - congrégation dont ce dernier était justement le Supérieur général entre 1630 et 1648. Une autre note apparaît sur la page de titre, cette fois, indiquant ce qui suit : « par un religieux de l’Ordre de Saint Benoit ». Mon prédécesseur aux Archives de Saint-Sulpice, le père Irénée Noye, l’attribuait lui aussi à un bénédictin de la Congrégation de Saint Maur, mais il penchait plutôt pour Dom Henri-Damien Lerminier.


Nous conservons cette Vie d’Agnès aux Archives de Saint-Sulpice à Paris. Elle est constituée de 2 volumes portant les cotes suivantes : ms 253 et ms 254.


Le premier volume de cette Vie comporte 3 livres qui dressent le portrait spirituel de la religieuse dominicaine, depuis sa naissance jusqu’à son entrée au Monastère de Langeac. Le second volume poursuit le récit à partir de sa profession solennelle jusqu’à sa mort à l’âge de 32 ans, tout en insistant sur ses vertus et sa vie spirituelle au sein du monastère.


Les deux volumes contiennent des passages qui font référence à sa rencontre avec Jean-Jacques Olier survenue en 1634 quelques mois avant la mort de celle-ci. En voici la transcription :

 

Extraits se rapportant à la rencontre entre Agnès de Jésus et Jean-Jacques Olier en 1634

MS 253 folios 4-5 :

Préface.


[...] Monsieur l’Évesque de Sainct Flour, à présent de Rodés [sic], envoya il y a quelques années à Monsieur Olier, Curé de Saint-Sulpice à Paris, les mémoires de la vie de cette sainte fille, avec prières de les voir, les adjuster et les publier. Monsieur le Curé me les mit en main avec plusieurs lettres et autres papiers concernans la mesme vie afin d’en faire un corps d’histoire comme j’ay tasché.


Le Père Panassière a esté le principal escrivain des actions extraordinaires et des vertus d’Agnès comme il estoit son plus ordinaire confesseur. Monsieur l’Archiprestre Martinon, dont j’ay les mémoires escrits de sa main, a fait une pareille diligence pendant qu’il la conduisoit. Monsieur l’Abbé Ollier [sic] en a remarqué des vertus et des grâces fort particulières dans le peu de temps qu’il a communiqué avec elle et qu’il en a receu le depost de tous ses secrets. Les religieuses de Langeac en ont fait connoistre une partie : quelques-unes de ses compagnes dans le monde, au temps qu’elle estoit seculière et qui sont à présent religieuses, en ont fait quelques écrits que j’ay devers moy. Et voilà d’où me viennent les mémoires qui font le sujet de ce livre. Pour l’estime qu’on a fait d’Agnès et les approbations qu’elle a méritées de personnes aussi qualifiées en leur condition, que religieuses et prudentes en leur jugement. Les voicy de suite […] 

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Estampe commanditée par Étienne-Michel Faillon PSS pour son édition de la Vie de M. Olier en 1841 

Ms 254 folios 267-269 :

Livre sixiesme. Chapitre 10. Continuation sur le mesme sujet.

[...] Nous allons fermer ce chapitre et ce livre par le récit de plusieurs grâces et merveilles qui concourent en un mesme sujet et pour une mesme personne, qui vit encore dans les sentimens et les effects très heureux de la Charité de cette fille incomparable. La Vierge luy apparoissant un jour, toute revestue de gloire, luy dit : « Prie mon Fils pour un tel » qu’elle luy nomma et qui alors estoit plongé dans les ténèbres d’une vie licentieuse [sic] et criminelle, à ce qu’il disoit, me racontant tout cecy par exprès commandement de son directeur. La Mère Agnès n’avoit jamais veu ny connu cette personne, ny ouï parler d’elle en estant éloignée d’environ cent lieues. Cependant elle ne cessa point, dès ce moment-là, de prier et pleurer pour l’entière conversion de cette âme qui luy estoit recommandée de si bonne part. Trois ans se passent dans ces larmes. Le Ciel touche le cœur libertin en faveur de cette charitable et innocente pénitente. Le voilà dans la retraite où il estudie son entier divorce d’avec le monde et ses vanités et se dispose à toutes les grâces nécessaires à un vertueux ecclésiastique. Pendant quoy, Agnès luy apparoit par deux diverses fois, un Crucifix en l’une des mains et un Rosaire en l’autre, le visage tout baigné de larmes et un ange auprès d’elle qui luy portoit son long manteau d’une main et de l’autre tenoit un mouchoir dont il recueilloit ses larmes. Et il entendit ces paroles : « Je pleure pour toy ». Luy, affligé au possible à la veue de ce visage majestueux et plein de larmes, ne sçachant point qui c’estoit et doubtant que ce fust la très Sainte Vierge demeura dans cette suspension et ignorance jusqu’à ce que, passant un jour par la ville de Langeac, le bruit et renom de la vertu et des grâces de la Mère Agnès l’attirèrent à la grille de son Monastère où, la voyant, il la reconnut et apprit d’elle ce qui s’estoit passé et comme elle s’estoit chargée de ses péchés et avoit fait pénitence pour luy l’espace de trois ans. Elle luy donna le chapelet, ou rosaire, le crucifix et le mouchoir qu’il avoit veu dans cette apparition et l’ange, mesme après sa mort, ainsi que nous dirons au livre suivant où nous allons voir cette grande lumière se coucher du costé de ce monde, pour se lever à la belle éternité de l’autre […]

 

Résumé de la vie d’Agnès de Langeac


« Qui a Dieu, a tout ! » Cette parole de la Bienheureuse Agnès de Jésus résume parfaitement le sens profond de sa vocation religieuse.


C’est au Puy-en-Velay que la petite Agnès Galand vient au monde le 17 novembre 1602 dans une ville fortement marquée par les pèlerinages et la dévotion mariale depuis plusieurs siècles. Baptisée le lendemain, ses parents prennent en charge son éducation religieuse qu’ils confient au maître d’école Pierre Vigne-Sole ainsi qu’au père Jacques Larieu, un jésuite, qui sera son premier confesseur.


Agnès fait le vœu de virginité à l’âge de 7 ans après une apparition de saint François d’Assise entouré de flammes d’amour dans l’église Saint-Laurent des Prêcheurs qu’elle fréquente alors au Puy. L’année suivante, elle se consacre toute entière à Marie devant l’autel de la cathédrale. Selon l’usage de l’époque, son père interrompt ses études alors qu’elle est âgée de 8 ans pour l’initier au travail de la dentelle dans le domicile familial.


Elle a 17 ans lorsque le père Esprit Panassière, de l’ordre de saint Dominique, arrive au Puy et devient son nouveau confesseur en 1620. C’est ce dominicain qui écrira plus tard les Mémoires de la vie d’Agnès, une des sources principales de sa biographie, ainsi que semble le confirmer la préface du manuscrit 253 que nous étudions ici. L’Auteur affirme s’être référé aux Mémoires du père Panassière pour écrire sa Vie.


L’année suivante, en 1621, Agnès se voit admise dans le tiers ordre dominicain. Elle a alors 19 ans. Son penchant pour la vie contemplative la pousse, cependant, à aller plus loin en rejoignant les sœurs dominicaines du Monastère de Langeac le 24 septembre 1623. Le monastère et la communauté de sœurs qui y résident viennent alors tout juste d’être fondés. Quelques jours plus tard, elle prend l’habit comme sœur converse avant de faire sa profession religieuse le 2 février 1625.


L’Évêque de Saint-Flour contemporain des évènements, Monseigneur Charles de Noailles qui siégea de 1609 à 1647, connaît bien la jeune Agnès Galand. C’est pourquoi il intervient personnellement auprès des Dominicains pour son intégration comme converse au sein du Monastère Sainte Catherine nouvellement fondé à Langeac.


L’Auteur nous précise dans la préface de son manuscrit que ledit prélat de Saint-Flour est devenu évêque de Rodez au moment où il entreprend l’écriture de son œuvre, ce qui nous permet de situer la rédaction de son texte entre le 8 avril 1647 et le 27 mars 1648, dates correspondant à l’épiscopat de Monseigneur Charles de Noailles pour le diocèse de Rodez.


Depuis son entrée au monastère, Agnès Galand, devenue en religion Sœur Agnès de Jésus, passe de cuisinière à chantre avant d’être désignée maîtresse des novices durant le Carême 1626. Au même moment, son confesseur le père Panassière ainsi que son directeur spirituel le père Arnauld Boyre, de la Société de Jésus, quittent la ville du Puy. Les écrits du père Arnauld Boyre constitueront donc le second témoignage vivant de la vie d’Agnès.


Agnès est élue prieure du monastère de Langeac le 23 septembre 1627. Elle n’a alors que 25 ans.


En 1631, la Vierge Marie lui apparaît et lui demande de prier pour la conversion de l’Abbé de Pébrac, dont l’abbaye se situe dans une bourgade voisine du sud de Langeac. Or, l’abbé commendataire de Pébrac n’est autre que Jean-Jacques Olier qui se forme, au moment de la vision d’Agnès, à l’état ecclésiastique en fréquentant le cercle de Vincent de Paul. Après son ordination sacerdotale qui aura lieu à Paris en 1633, Jean-Jacques Olier verra lui apparaître par 2 fois une religieuse portant l’habit des dominicaines, un crucifix et un chapelet dans chaque main. La religieuse est accompagnée par une créature angélique qui n’est autre que son ange gardien. Il porte son manteau et tient à la main son mouchoir, celui-là même qui lui servait à essuyer ses larmes lorsqu’elle priait pour la conversion de l’abbé.


Mais ce n’est qu'en 1634 que Monsieur Olier et la Mère Agnès se rencontreront. Alors qu’il parcoure la région pour évangéliser les populations rurales de l’Auvergne, selon le mouvement initié par saint Vincent de Paul, Jean-Jacques Olier entend parler de la réputation de sainteté d’Agnès de Langeac et se décide à se rendre au Monastère sainte Catherine de Sienne. Une fois arrivé, il reconnaît clairement à travers la grille du parloir, le visage de celle qui lui était apparue lors de ses visions à Paris. Celle-ci lui confie alors comment la Très Sainte Vierge lui était apparue 3 années auparavant en lui demandant de prier pour la conversion de l’abbé.


Du mois de juin au mois d’octobre 1634, Jean-Jacques Olier viendra s’entretenir de nombreuses fois avec Agnès de Jésus au parloir du Monastère sainte Catherine. Peu de temps après le départ de Monsieur Olier qui doit s’en retourner vers Paris, Agnès tombe gravement malade et rejoindra le Christ, « son Époux », le 19 octobre 1634.


Si les Mémoires composés par les pères Panassière et Boyre constituent les premiers témoignages vivants de la Vie d’Agnès, c’est à Charles de Lantages que nous devons la première publication d’une biographie en bonne et due forme dès 1665. Charles de Lantages était sulpicien de la première heure et c’est lui qui fut envoyé en 1653 par Jean-Jacques Olier pour prendre en charge le Séminaire du Puy dont il devint le premier Supérieur, pour répondre aux sollicitations de l’évêque du lieu : Henri Cauchon de Maupas. La biographie de Lantages a l’avantage de restituer l’histoire des évènements de la vie de mère Agnès de manière précise, venant ainsi compléter les portraits davantage spirituels des récits composés par les pères Panassière et Boyre.

L'iconographie de la Bienheureuse Agnès de Jésus a été fortement marquée par le récit de sa rencontre avec Jean-Jacques Olier comme on peut le voir avec la gravure ci-dessous qui la représente pleurant et priant pour la conversion du jeune Olier. Elle est depuis lors dépeinte avec un chapelet et un crucifix, attributs dont elle était revêtue lorsqu'elle apparut à Monsieur Olier en 1631. 

 agnes de jesus langeac1024 1DUMONTEIL[H] Jérôme (1687), Le véritable portrait de la Vénérable Mère Agnès de Jésus. Eau-forte, 36,7 x 27 cm. France, Paris, Archives de Saint-Sulpice

 

M. Zakaria HILAL, archiviste de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice (Paris)