Le Séminaire Saint-Sulpice que l’on identifie de nos jours au magnifique bâtiment du 33 rue du général Leclerc à Issy-les-Moulineaux ne fut pas toujours logé à cette adresse. S’il est tout à fait naturel d’identifier une institution avec le lieu où s’exerce son activité, il convient cependant de rappeler qu’une institution peut aussi se relocaliser ailleurs au gré des évènements de l’Histoire.

seminaire 16521024 1 1Le projet de construction du Séminaire Saint-Sulpice commence en mai 1645 après que Jean-Jacques Olier, alors curé de la paroisse du même nom, eut acquis un vaste terrain racheté à Monsieur Blaise Méliand, alors, Procureur général du Parlement de Paris. Ce terrain se trouvait au niveau de la rue du Vieux-Colombier tout à fait en face de l’ancienne église Saint-Sulpice. *


C’est sur cette propriété que Monsieur Olier fera édifier son séminaire entre 1648 et 1650, durant la Régence de la reine Anne d’Autriche et ce, d’après les plans de Jacques Le Mercier (1585-1654) qui avait été nommé Premier architecte du roi au temps de Louis XIII. Le Curé de Saint-Sulpice peut alors compter sur la générosité d’Alexandre Le Ragois de Bretonvilliers entré dans la Compagnie en 1643. Ce dernier soutiendra la construction du séminaire sur ses propres deniers tout au long du chantier.


Côté rue du Vieux-Colombier, la porte d’entrée du séminaire était surmontée d’une inscription : « Spes messis in semine » signifiant l’espoir de la moisson est dans la semence. Jean-Jacques Olier indique par cet habile jeu de mots articulé autour du terme semine ce qui constituera la vocation de cet édifice, destiné à accueillir des séminaristes et des clercs en vue de leur formation au sacerdoce.

plan general ancien seminaire saint sulpice paris1024 1 1

 

fronton chapelle seminaire 16501024 1 1Le bâtiment s’organisait en un vaste quadrilatère constitué de 3 étages qui surplombaient un rez-de-chaussée. Chaque étage, doté d’une coursive ou galerie de circulation intérieure, donnait accès aux différentes chambres. Au rez-de-chaussée se trouvaient les grandes salles pour les Exercices des ordinands ainsi que les cages d’escalier réparties dans les différentes ailes de l’édifice. Depuis la cour intérieure, entièrement pavée de grès, l’entrée de la grande chapelle était reconnaissable au fronton qui tranchait nettement avec la sobriété architecturale du reste du bâtiment. Sur le tympan du fronton de la chapelle figurait l’inscription suivante : « Fundavit eam Altissimus » (C’est le Très-Haut qui l’a fondé). Sous le fronton se trouvait nichée une statue de la Vierge tenant son Fils, debout, sur ses genoux. L’Enfant-Jésus tient à la main une couronne qu’il s’apprête à poser sur la tête de sa Mère. Cette statuaire voulue par Monsieur Olier n’avait d’autre but que d’honorer la royauté spirituelle de Marie dont il fit la sainte patronne de la Compagnie et un modèle d’oblation pour les prêtres. De part et d’autre de la grande porte de la chapelle apparaissaient une statue de saint Joseph, une fleur de lys à la main, ainsi qu’une statue de saint Jean l’Évangéliste, un aigle à ses pieds, selon l’emblème qui lui est traditionnellement attribué d’après le Livre de l’Apocalypse et le Tétramorphe d’Ézéchiel. Ces représentations de saint Joseph et de saint Jean faisaient référence aux patrons secondaires de la Compagnie, l’un comme symbole de protection et l’autre comme image de l’enfance spirituelle comme nous pouvons le constater dans le Pietas seminarii sancti sulpitii :

 

IX
Quoique le Très Saint-Sacrement soit le mémorial de toutes les merveilles du Christ et nous rende sans cesse présent leur intérieur, la Communauté s'attachera cependant avec une tendre prédilection aux mystères de l'enfance du Sauveur Jésus. Elle s'efforcera de se nourrir de sa vie, de ses dispositions et de son esprit, principalement de son esprit d'humilité et de simplicité. C'est vers lui qu'elle tournera toujours sa bouche ouverte, afin de désirer vraiment avec simplicité ce lait très doux, comme le font les enfants nouveau-nés (I Petr., II, 2). Jamais elle n'oubliera sa sentence : « Si vous ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux » (Math., XVIII, 3 et 4).

X
Puisqu'ils adhèrent intimement au Christ enfant, les aspirants de cette Compagnie honoreront d'un culte particulier sa Très Sainte Mère Marie et le bienheureux Joseph. Ils s'abandonneront pleinement et avec confiance à leur protection tutélaire, et, petits enfants dans le Christ, ils passeront leur vie en toute sécurité, à l'ombre des ailes de ce père et de cette mère ; ils leur seront soumis par l'engagement d'une perpétuelle servitude.

XI
Ils invoqueront aussi comme leur patron particulier le bienheureux Jean l'Évangéliste, qui est devenu à la Cène un autre Christ, et à la Croix le fils adoptif de sa Mère. Vénérant surtout en sa personne la grâce de l'Eucharistie, ils s'efforceront sans cesse de puiser à son exemple cette même grâce à la source qui coule de la poitrine du Seigneur.

 

Monsieur Olier obtint en 1654 de Charles Le Brun, futur portraitiste de Louis XIV, qu’il décore la chapelle de son séminaire. Le Séminaire Saint-Sulpice deviendra alors l’écrin de 2 œuvres majeures : un Triomphe de la Vierge qui ornait le plafond de la chapelle ainsi qu’une Pentecôte placée au-dessus du maître-autel.

triomphe vierge lebrun1024 1 1Triomphe de la Vierge de Charles Lebrun qui ornait le plafond de l'ancien Séminaire détruit sous le Consulat en 1803

C’est au milieu du XVIIIème siècle que le Séminaire construit par Monsieur Olier commence à être menacé par un projet d’urbanisme consécutif aux travaux d’agrandissement de l’église Saint-Sulpice. Ces travaux avaient repris en 1719 sous la Régence du Duc d’Orléans pendant la minorité de Louis XV. La reprise de ces travaux d’agrandissement de l’église paroissiale, suspendus depuis 1678, est commémorée par la médaille que nous pouvons admirer ci-contre. En effet, la construction de la façade actuelle avait considérablement projeté vers l’avant le nouvel édifice paroissial. Le mur le plus proche du Séminaire se retrouvait alors à moins de 10 mètres de distance de la tour nord de l’église Saint-Sulpice, masquant complètement la nouvelle façade monumentale de Monsieur Servandoni.

medaille 1719 1Avers et revers de la médaille commémorant le reprise des travaux de l'église Saint-Sulpice (1719)

Mais alors que la Révolution de 1789 allait empêcher les dernières réalisations de l’église paroissiale (clochetons, finitions de la tour sud et fronton), la décision de démolir le Grand Séminaire voulu par Olier viendra, elle, du Premier Consul Napoléon Bonaparte le 9 octobre 1802 via le Conseil d’État. Le bâtiment et sa chapelle seront démolis en février-mars 1803 et c’est ainsi que disparaîtra l’une des œuvres majeures de Charles Le Brun dit le Triomphe de la Vierge. Le Tableau de la Pentecôte que Jean-Jacques Olier avait commandé à ce dernier disparut, quant à lui, de la circulation. Les Sulpiciens le retrouveront à Rome en 1843 lors de la vente aux enchères des œuvres de feu le cardinal Fesch, grand collectionneur et amateur d’art. Ils parviendront alors à le racheter pour le réinstaller dans la chapelle de leur nouveau séminaire dont la reconstruction s’étalera de 1820 à 1838. 

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Ce fut donc en 1820, le 21 novembre, jour de la fête patronale des Sulpiciens, que fut posée la première pierre du nouveau Séminaire de Saint-Sulpice sous le supériorat d’Antoine du Pouget Duclaux. On décida de le reconstruire sur le versant sud de l’actuelle place Saint-Sulpice, place dont l’aménagement avait été rendu possible par la démolition de l’ancien séminaire.

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 La Restauration de la monarchie avec l’arrivée au pouvoir de Louis XVIII, Roi de France et de Navarre depuis 1815, avait permis à la Compagnie de Saint-Sulpice de recouvrer son existence légale et ce dès 1816 après qu’elle eut été dissoute par Napoléon Bonaparte en 1811.


La reconstruction du Séminaire Saint-Sulpice que vient commémorer cette série de médailles frappées pour l’occasion, s’inscrivait donc dans une politique de réhabilitation de la religion chrétienne selon l’ancienne alliance du Trône et de l’Autel en France. C’est pour cette raison que ces médailles seront frappées à l’effigie du souverain Louis XVIII et du pape Pie VII.


De nos jours, on peut toujours admirer cet édifice qui fut confisqué par le Gouvernement français en 1906 en application de la loi de Séparation des églises et de l’État. Un décret du 27 novembre 1920 viendra décider de son affectation finale au Ministère des Finances. Une plaque historique installée devant l’édifice rappelle aux passants la mémoire de ce lieu qui avait jadis appartenu aux Prêtres de Saint-Sulpice.

 

carte postale seminaire paris 1901 1Carte postale d'un ancien séminariste postée le 27 décembre 1901

 


  M. Zakaria HILAL, archiviste de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice (Paris)