Le manuscrit 1216 des Archives de Saint-Sulpice à Paris

gravure jeanne le ber 18601024 1Gravure illustrant l'entrée de Jeanne en réclusion en 1695La vie de Mademoiselle Jeanne Leber conservée aux Archives de Saint-Sulpice à Paris, manuscrit 1216, fut composée par Étienne Montgolfier en 1779. Prêtre de Saint-Sulpice, c’est en 1751 qu’il se consacra à la mission sulpicienne de Montréal dont il fut nommé supérieur dès 1759. Les Sulpiciens étant les seigneurs de l’île, cette nomination fit d’Étienne Montgolfier le curé de la Paroisse de Montréal, le vicaire général de l’évêque de Québec, le supérieur ecclésiastique des congrégations religieuses se trouvant sur son fief (Hospitalières de Saint-Joseph, Congrégation de Notre-Dame, Sœurs Grises), et enfin l’administrateur de la seigneurie sulpicienne. Contemporain de la conquête du Canada par la couronne britannique, Étienne Montgolfier administra le diocèse dans un contexte difficile sur le plan politique et religieux avant l’arrivée de Monseigneur Jean-Olivier Briand qu’il soutint de son mieux, en sa qualité de vicaire général, jusqu’à sa démission comme supérieur de Saint-Sulpice à Montréal en 1789.

L’incendie de la maison-mère de la Congrégation de Notre-Dame, survenu en 1768, le poussa à reconstituer les archives perdues de ladite congrégation en se basant sur celles du Séminaire Saint-Sulpice de Montréal. C’est ainsi qu’il composa cette Vie de Jeanne Le Ber en se basant sur les témoignages de plusieurs religieuses qui avaient personnellement connu Jeanne.

Conservée aux Archives de Saint-Sulpice à Paris sous le numéro d’inventaire 1216, la Vie de Mademoiselle Jeanne Leber constitue l’une des principales sources sur la vie de la recluse, source qui doit être complétée par la biographie qu’en fit le sulpicien François Vachon de Belmont en 1720 peu de temps après le décès de cette dernière survenu en 1714. Le manuscrit de Vachon de Belmont est également conservé aux Archives de Saint-Sulpice à Paris sous le numéro d’inventaire 1232.

 

Résumé de la vie de Jeanne Le Ber

Jeanne Le Ber constitue l’une des grandes figures religieuses de la Nouvelle-France à ses débuts.

Second enfant et fille unique de Jacques Le Ber, grand négociant au Canada, et de Jeanne Le Moyne, sœur du Baron de Longueil, Jeanne naquit à Ville-Marie (Montréal) le 4 janvier 1662. Le premier gouverneur de Montréal Monsieur Paul de Chomedy de Maisonneuve lui tint lieu de parrain, et Jeanne Mance de marraine lorsque ses parents la font baptiser le jour même de sa naissance, par Gabriel Souart, prêtre de Saint-Sulpice.

Montréal n’est alors qu’une petite colonie sur le qui-vive, menacée par de régulières incursions depuis sa fondation en 1642. Les missionnaires français tentent de se développer dans cette contrée lointaine afin de diffuser l’Évangile auprès des populations autochtones.

A 12 ans, Jacques Le Ber décide de confier l’éducation de sa fille aux Ursulines de Québec où elle retrouve sa tante, dite Marie de l’Annonciation en religion, qui participe à l’éducation des jeunes pensionnaires du couvent des Ursulines. Jeanne Le Ber y passera 3 années comme pensionnaire de 1674 à 1677. C’est là qu’elle apprendra l’art de la broderie qui la rendit célèbre par le grand nombre de linges d’autels qu’elle confectionnera tout au long de sa vie. Elle n’a que 15 ans lorsqu’elle revient dans sa famille à Montréal. Dès lors, ses parents l'obligeront à s'habiller selon le rang qui convient à sa condition sociale afin de lui trouver un parti avantageux dans cette terre de mission.

C’était sans compter sur le vœu, intime et profond, que Jeanne avait formé intérieurement en choisissant de renoncer au monde. Son désir pour le réaliser la tourna dans un premier temps vers les religieuses de l'Hôtel-Dieu puis vers la Congrégation Notre-Dame où elle se lia d’amitié avec sœur Marguerite Bourgeoys qui en était la figure de proue. Mais, ne se sentant pas appelée à la vie communautaire, Jeanne Le Ber s’engage dans une vie de recueillement au sein même de la maison familiale, contrariant ainsi les projets que ses pieux parents avaient formés pour elle.

C’est en 1679 que Jeanne Le Ber prend pour confesseur l’abbé François Seguenot, sulpicien et curé de la paroisse de la Pointe-aux-Trembles (Montréal). Sur les conseils de l’abbé, Jeanne décide de mener une vie de recluse pour une durée de cinq ans et, avec la permission de ses parents, se retire dans une cellule située à l’arrière de la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Montréal, fondé jadis par Jeanne Mance, qui servait alors d’église paroissiale. Elle y multiplie les actes de mortification allant jusqu’à porter un cilice sous ses vêtements. Elle y fait vœu de silence, se refusant à tout entretien avec sa famille et ses amis, et l’on raconte même qu’elle se flagellait en guise de mortification. Jeanne ne sortait de sa réclusion que pour assister à la messe quotidienne.

Le 24 juin 1685, elle renouvelle son vœu de réclusion, de chasteté et de pauvreté. Ses directeurs spirituels que sont les abbés sulpiciens François Dollier de Casson et François Seguenot, l’encouragent à poursuivre dans cette voie. Sa vie de pauvreté et de réclusion ne l’empêcha pas de retenir auprès d’elle durant toutes ses années sa cousine Anna Barroy qui veillait à ses besoins matériels tout en l’accompagnant à la messe, comme il convenait à une personne de son rang. Elle ne s’interdisait pas non plus de s’occuper d’affaires, ne se sentant pas tenue par ses vœux à se défaire de ses biens. C’est ainsi qu’elle céda la ferme de Pointe Saint-Charles à l’Hôpital Général des frères Charon à Montréal. Ses directeurs spirituels pouvaient, par ailleurs, suspendre la règle de silence qu’elle s’était elle-même imposée, et il ne semble pas qu’on lui eut refusé la permission de recevoir des visiteurs quand elle en formait le souhait.

jeanne le ber detail vitrail Jeanne Le Ber dans son reclusoir - Vitrail de la Basilique Notre-Dame de Montréal Lorsque les sœurs de la Congrégation Notre-Dame projetèrent de bâtir une église sur leur propriété, Jeanne leur fit un don généreux afin qu’on lui réservât juste derrière l’autel une cellule d’où elle pût voir le Saint Sacrement sans avoir à quitter son lieu de réclusion. Le logement, construit selon ses instructions, comportait trois pièces superposées : au rez-de-chaussée, une sacristie où elle se confessait et recevait la communion ; à l’étage, une chambre à coucher très simple ; et, au-dessus, un atelier où elle allait s’adonner à ses travaux de mercerie. Depuis la sacristie, une porte donnait sur le jardin des religieuses. Dollier de Casson signa à titre de témoin le contrat qui fut passé devant le notaire Basset selon lequel les sœurs de la Congrégation s’engageaient à lui fournir le vêtement, la nourriture et le bois de chauffage, à offrir chaque jour des prières à son intention, et à la servir en l’absence de sa cousine. En retour, Jeanne Le Ber faisait don des fonds nécessaires à la construction et à la décoration de l’église des sœurs de la Congrégation Notre-Dame. Jeanne s’engageait également à leur verser une rente annuelle équivalente à 75 écus.

C’est ainsi que l’héritière et filleule des fondateurs de Montréal, que l’on appelait jadis Ville-Marie, choisit la réclusion comme le viatique de son cheminement vers Dieu en décidant de se cloîtrer complètement en 1695 dans le « reclusoir » qu’elle avait fait construire, avec l’argent initialement prévu par son père pour sa dot, derrière la chapelle du pensionnat de la Congrégation Notre-Dame.

Jeanne prononça ses vœux solennels de réclusion le 5 août 1695, au cours d’une cérémonie à laquelle Marguerite Bourgeoys assista en personne.

Elle consacra beaucoup de son temps à la broderie et à la confection de vêtements d’église et de linge d’autel, passant six ou sept heures par jour dans la prière et la méditation et recevant la communion quatre fois par semaine.

C’est elle qui institua chez les religieuses de la Congrégation Notre-Dame, l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement. Pour réaliser ce dessein, elle fit à la Congrégation Notre-Dame divers dons conséquents et leur fournit le mobilier liturgique nécessaire à la célébration perpétuelle du Saint Sacrifice de Jésus : tabernacle, ciboire, calice, ostensoir ainsi qu’une lampe en argent pour ladite chapelle.

Jeanne Le Ber, dont la notoriété ne se démentait pas au sein de la colonie, continuait de recevoir des visiteurs, de temps à autre. Son père lui rendait visite deux fois l’an et avait demandé à être inhumé dans l’église des sœurs de la Congrégation pour demeurer près de sa vénérable fille par-delà la mort.

En septembre 1714, Jeanne tombe gravement malade d’une maladie qui devait rapidement l’emporter. Elle décide donc de se départir du reste de ses biens en léguant aux religieuses de la Congrégation tous ses meubles ainsi qu’une somme de 18 000 écus dont le revenu devait servir à l’entretien de sept pensionnaires avant de rendre le dernier souffle au matin du 3 octobre. Elle fut inhumée aux côtés de son père près de son reclusoir.

Ses restes reposent désormais dans la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours à Montréal où repose également sainte Marguerite Bourgeoys.

 

Cause de Jeanne Le Ber

Plus de 300 ans après le décès de la recluse, l’Église de Montréal n’oublia jamais son souvenir. Monseigneur Christian Lépine ouvrit le procès diocésain pour la cause de Jeanne Le Ber en vue de sa béatification le 28 octobre 2015 après avoir obtenu au préalable le nihil obstat de la Congrégation pour la Cause des Saints à Rome.

Saint-Sulpice et les Sulpiciens de Montréal conservent dans leur cœur le souvenir de cette âme entièrement tournée vers Dieu.

 

M. Zakaria HILAL, archiviste de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice à Paris

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