Manuscrits 157 & 158

Le travail entrepris dans les archives sulpiciennes depuis quelques années par M. Zakaria Hilal, archiviste-bibliothécaire de la Compagnie pour les archives de Paris, porte des fruits multiples, parfois inattendus, ouvrant la porte à des hypothèses intéressantes pour l’histoire de M. Olier et de ses manuscrits.


Ainsi en est-il d’une hypothèse récemment formulée à propos de deux petits manuscrits qui pourraient bien être des autographes d’Olier, jusqu’ici non identifiés comme tels. Il s’agit des mss 157 et 158, intitulés Entretiens des ordinands. Ils appartiennent à la sous-série Louis Tronson, parce qu’ils ont été donnés à la Bibliothèque de Lorette par le deuxième successeur d’Olier et parce qu’ils contiennent des remarques marginales de M. Tronson lui-même, déjà identifiées comme étant de son écriture. On sait que cette bibliothèque avait été initiée par M. Tronson lui-même et que les manuscrits les plus précieux des débuts de la Compagnie y étaient conservés.


Ces deux manuscrits, . tout récemment restaurés ., ont été édités par le Père Gérard Carroll, en 2004, aux éditions Téqui, sous le titre : Un portrait du prêtre ; les retraites de 10 jours pour les ordinands. L’édition laisse de côté un texte d’une autre écriture, qui occupe la fin du manuscrit 158, et qui est identifié comme le texte d’une retraite d’ordinands prêchée dans le diocèse d’Alet, texte probablement ajouté plus tard sur les pages laissées libres du deuxième manuscrit. Le Père Carroll qui a mené à bien ce travail remarquable a été conseillé à l’époque par MM. Irénée Noye et Michel Dupuy.


Or, Mme Priscilla Osseni, adjointe de M. Hilal pour les archives, vient d’émettre l’hypothèse qu’il est très vraisemblable que ces manuscrits soient des autographes d’Olier lui-même. Mme Osseni a pu se familiariser avec l’écriture de M. Olier, grâce à la supervision de la numérisation de l’ensemble des manuscrits autographes, effectuée en totalité depuis maintenant deux ans. Elle est maintenant chargée de la description archivistique des manuscrits. Elle a pu ainsi déjà réaliser l’inventaire informatisé de la sous-série Louis Tronson.


Nous savons que M. Olier a participé à la première rédaction des Entretiens des Ordinands. Saint Vincent de Paul, chargé par des évêques de concevoir et de prêcher les premiers « Exercices des ordinands », avait réuni quelques jeunes prêtres qui fréquentaient Saint-Lazare pour l’aider dans le travail de rédaction des Entretiens qui étaient donnés pendant les « Exercices ». Parmi eux, des noms connus pour les familiers d’Olier : M. Nicolas Pavillon qui deviendra évêque d’Alet, M. François Perrochel, cousin d’Olier, qui deviendra évêque de Boulogne . Le Père Carroll y ajoute le nom d’Antoine Godeau, futur évêque de Grasse. Les Entretiens des Ordinands sont les ancêtres des séminaires. En trois fois dix jours, avant la réception de chacun des Ordres majeurs, on y enseignait ce qui semblait nécessaire pour le ministère à venir. D’où le besoin d’un texte réfléchi à plusieurs et rédigé de telle manière que les auditeurs ne soient pas livrés aux préférences du prédicateur.


L’étude menée depuis quelques jours avec Mme Osseni et M. Hilal semble bien confirmer cette hypothèse. La question se pose alors de comprendre pourquoi nos prédécesseurs n’ont pas reconnu M. Olier comme étant le rédacteur de ces textes (au moins à titre d’hypothèse). Probablement parce que l’écriture diffère sensiblement de celle à laquelle nous sommes habitués dans les autres manuscrits d’Olier. Il s’agit d’une écriture de jeunesse, très soignée, extrêmement fine et régulière, sans ratures, témoignant d’un texte qui doit être donné par un conférencier et donc lu facilement. Dans ses autres manuscrits, Olier écrit de façon beaucoup moins régulière, et souvent avec beaucoup de ratures et de surcharges. D’autre part, les feuillets qu’il utilise sont beaucoup plus larges et longs. Ici nous sommes devant un très petit format, qui pouvait se transporter facilement et très maniable (in-12).


Du coup, nous pouvons formuler une autre hypothèse : ne serions-nous pas avec ces deux manuscrits devant l’exemplaire personnel de M. Olier des Exercices des ordinands, celui qu’il aurait copié après avoir participé à sa rédaction ? Nous ne pouvons évidemment l’affirmer avec certitude, mais l’hypothèse est, elle aussi, très vraisemblable. Dans ce cas, nous serions en présence d’un exemplaire rédigé probablement au cours de l’année 1635, entre les deux missions d’Auvergne effectuées par M. Olier entre autres sur les terres de son abbaye de Pébrac. Par le fait-même, nous serions devant l’exemplaire le plus ancien parmi les exemplaires connus des Entretiens des Ordinands. Telle était déjà la conclusion du Père Carroll. Mais celui-ci met un délai entre la mise au point du texte, en 1635, et la rédaction de nos deux manuscrits. Il date le ms 158 (entretiens du matin) entre 1652 et 1660, et le ms 157 (entretiens du soir) de 1650. Malheureusement, il ne donne aucun critère pour justifier ses choix.


Si, comme nous le pensons, il s’agit bien de l’écriture d’Olier lui-même pour les deux manuscrits, et si ces deux manuscrits sont bien l’exemplaire personnel de M. Olier de la rédaction des Entretiens des ordinands à laquelle il a participé (ce qui reste une hypothèse), pourquoi les dater de manière différente et pourquoi séparer de plusieurs années la rédaction des manuscrits et l’établissement du texte en 1635. Pourquoi Olier n’aurait-il pas copié tout de suite le texte qu’il venait de rédiger avec ses compagnons ?

 

Monsieur Bernard Pitaud, PSS

 


pitaud osseni hilal decembre 2025 VD 1De gauche à droite : Bernard Pitaud, Priscilla Osseni, Zakaria Hilal