Bienheureux Martyrs de la Compagnie à Paris
Mémoire
Le 2 septembre 1792, un grand nombre de martyrs, évêques, prêtres, séminaristes et laïcs tombèrent en divers lieux de Paris, victimes de leur fidélité à l’Église. Parmi ceux qui furent massacrés dans le couvent des Carmes se trouvaient huit prêtres de la Compagnie de Saint-Sulpice : Bernard de Cucsac, du diocèse de Toulouse ; Jacques-Gabriel Gallais, du diocèse d’Angers ; Nicolas Psalmon, du diocèse de Rouen ; Étienne Hourier, du diocèse d’Amiens, et Claude Rousseau, du diocèse de Paris.
Du séminaire d’Issy furent conduits rue de Vaugirard Pierre Gauguin, du diocèse de Tours ; Michel Guérin, du diocèse de La Rochelle, et Henri Luzeau de la Mulonnière, du diocèse de Nantes. Deux diacres : Antoine Adéodat de Ravinel, du diocèse de Nancy, et Augustin de Lézardière, du diocèse de Luçon, qui se trouvaient au séminaire accompagnèrent leurs maîtres dans la mort, à l’exemple de saint Laurent. À leur mémoire il faut joindre celle d’André Grasset de Saint-Sauveur, prêtre né au Canada, chanoine de Sens, qui, dans le même massacre des Carmes, donna lui aussi sa vie pour l’Église.
Le massacre au Couvent des Carmes
Plusieurs d'entre nous se firent un refuge d'un petit oratoire placé dans un angle du jardin ; et ils s'étaient mis à dire leurs prières de vêpres, lorsque tout à coup la porte du jardin fut ouverte avec fracas. Nous vîmes alors entrer en furieux sept ou huit jeunes gens dont chacun avait une ceinture garnie de pistolets, indépendamment de celui qu'il tenait à la main gauche, en même temps que de la droite il brandissait un sabre. Ils tuèrent ou blessèrent mortellement tous ceux qu'ils abordaient, sans se donner le temps de leur ôter entièrement la vie, tant ils étaient pressés d'arriver au groupe d'ecclésiastiques réfugiés au fond du jardin.
Nous nous rendîmes dans le sanctuaire ; et auprès de l'autel, où nous nous donnâmes l'absolution les uns aux autres, nous récitâmes les prières des mourants et nous nous recommandâmes à la bonté infinie de Dieu. Peu d'instants après arrivèrent les assassins pour nous saisir et nous entraîner (...).
Un commissaire de la section, envoyé avec la mission apparente d'empêcher le massacre des prisonniers, vint s'établir avec une table et le registre d'écrou de la prison des Carmes, auprès de la porte par laquelle on descendait dans le jardin.
Là, il appelle et fait venir les prêtres devant lui, deux par deux, pour constater l'identité de leurs personnes et s'assurer qu'ils persévèrent dans le refus du serment : il les fait passer ensuite dans le corridor qui aboutit à l'escalier par lequel on descend au jardin ; ils y sont attendus par les assassins qui les y égorgent aussitôt qu'ils paraissent, et font entendre à chaque fois des hurlements affreux entremêlés du cri de "Vive la nation !" (...) . Les prêtres qui sont encore dans l'église ne peuvent plus douter du sort qui les attend : et néanmoins, toujours en prière au pied de l'autel, ils n'en paraissaient point troublés. Ceux qui sont appelés à leur tour par le commissaire se lèvent aussitôt, les uns avec la sérénité d'une âme pure et pleine de confiance en Dieu, les autres avec un empressement très marqué d'aller donner leur vie pour Jésus-Christ. L'un vient les yeux baissés, continuant sa prière, qu'il n'interrompt que pour répondre au commissaire ; et il la reprend tranquillement ensuite, en se rendant à l'escalier de la mort (...), un autre son bréviaire ou l'écriture sainte à la main, marche avec ces livres des divines promesses, et montre par son visage et sa démarche qu'il s'attend à les voir se réaliser quand il recevra le coup fatal. Quelques-uns, présentant aux assassins un front angélique, les regardent avec une douce charité, dans laquelle on ne peut méconnaître une touchante compassion pour leur frénésie (...). Plusieurs enfin jettent des regards de prédestinés sur la croix de l'autel et répètent ces paroles de Jésus-Christ : "Mon Dieu, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font".
Ainsi périrent en vrais martyrs dans cet endroit trois illustres prélats, un très grand nombre de prêtres et un pieux laïque. Le commissaire lui-même fut touché de leur saint héroïsme; Deux jours après, il ne pouvait s'empêcher de dire à ceux des prêtres qu'il avait fait soustraire au massacre et qui étaient encore détenus au comité de section : "Je m'y perds ; je n'y connais plus rien ; vos prêtres allaient à la mort avec la même joie que s'ils fussent allés à des noces !"