Le neuvième Supérieur général de Saint-Sulpice

Le 28 avril 2011 se célébrait le bicentenaire de la mort de l’un des supérieurs généraux les plus remarquables que les Sulpiciens aient connus, Jacques-André EMERY, neuvième supérieur général de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice (1782-1811). Le bicentenaire est passé sans fanfare, mais l’on n’oublie pas l’importance de Monsieur EMERY dans l’histoire sulpicienne.

Né en 1732 à Gex près de la frontière suisse, Monsieur EMERY étudia la philosophie au séminaire sulpicien de Lyon, puis entra aux Robertins, maison attachée à Saint-Sulpice à Paris, et étudia la théologie à la Sorbonne. Il entra chez les Sulpiciens et fut ordonné prêtre en 1758. Puis il servit au séminaire d’Orléans. Après avoir passé son doctorat à l’université de Valence en 1763, EMERY fut envoyé au séminaire sulpicien de Lyon pour y enseigner la théologie morale. Il y gagna une réputation de discipline, de sainteté et d’excellence académique. Il y publia aussi de nombreux ouvrages remarqués, en particulier un livre sur Gottfried LEIBNIZ (1772), philosophe et rationaliste allemand, et un tract spirituel sur Sainte Thérèse d’Avila (1774).


De toute évidence, l’époque où Monsieur EMERY exerça son ministère sacerdotal fut une époque très éprouvante. Le rationalisme entamait gravement l’autorité traditionnelle de l’Eglise et de grands troubles sociaux allaient croissant en France, qui conduiront finalement à la Révolution française de 1789 et à la Terreur qui suivit en 1793-1794. De plus, supérieur général au temps de Napoléon, EMERY fut pris dans un grave jeu politique entre l’Eglise et l’Etat.

Comme Jean-Jacques OLIER, avant lui, Monsieur EMERY tendait vers l’ascétisme. Il était pieux, préoccupé par la réforme du clergé et le maintien d’un code de formation strict pour les prêtres. Il était ainsi connu pour sa direction ferme dans les séminaires où il servait.

En 1782 à la suite de la démission pour raison de santé du supérieur général Pierre LE GALLIC, EMERY fut élu supérieur général et devint automatiquement supérieur du grand Séminaire ; il vit la nécessité d’y réinstaurer la discipline dans cet environnement relâché. Bien que l’on puisse noter de nombreuses réalisations à son actif, il y a trois traits qui ressortent de son temps passé comme supérieur général.

Tout d’abord, la sainteté personnelle et l’ascétisme du père EMERY, tout comme son ouverture aux expériences de foi plus mystiques, en ont fait un magnifique modèle pour les prêtres et les séminaristes qu’il essayait de garder à un niveau élevé. Dans la continuité de l’esprit de réforme du père OLIER, EMERY évoquait le besoin de fidélité par un exemple personnel et non simplement en parole.

Un deuxième trait qui peut nous inspirer, c’est la nature de sa direction. Sa manière digne et ferme s’équilibrait néanmoins avec sa capacité à s’adapter aux besoins de son époque. Un exemple de choix de cette double tendance est sa réponse à l’exigence de prêter serment pour l’égalité, la fraternité et la liberté, serment séculier requis par la Révolution française. C’était largement perçu par les prêtres et les évêques comme un affront direct à l’Eglise et à l’autorité papale. D’autres s’accordaient trop facilement à ce serment et devenaient très sécularisés et rationalistes. EMERY prit une position très modérée. Il prêta serment et conseilla à d’autres prêtres de faire de même car il voyait ce serment comme une vague promesse de maintenir les réalités civiles plutôt qu’une opposition directe à l’autorité ecclésiale. Ainsi, EMERY est un modèle d’adaptation et de modération au milieu d’excès. On pourrait dire qu’il discernait “les signes des temps” et s’y adaptait, mais non de façon à compromettre sa foi.

Finalement, le troisième trait de sa façon de diriger était la capacité d’EMERY à prendre des risques. Il craignait que la Compagnie de Saint-Sulpice ne puisse survivre aux persécutions subies par le clergé pendant la Terreur et sous le régime tendu de Napoléon. Aussi encouragea-t-il les Sulpiciens à émigrer vers d’autres lieux, en particulier vers les Etats-Unis, où il rechercha et répondit favorablement au désir de Mgr John CARROLL de fonder un séminaire pour la formation du clergé local.


CARROLL était l’évêque de Baltimore, le premier diocèse catholique de la nouvelle nation, créé en 1789. Le Séminaire de Saint Mary fut fondé à Baltimore en 1791 grâce à l’arrivée de quatre Sulpiciens et de cinq séminaristes envoyés par EMERY pour fonder cette nouvelle entreprise. Le risque de tels projetés était évident, mais EMERY essayait tout moyen innovant pour assurer la survie de la Compagnie.

Monsieur EMERY a payé sa direction pleine d’anticipation. A la différence de nombreux prêtres qui fuyèrent la France, il resta à Paris et fut emprisonné deux fois durant la Terreur ; il fut malmené par Napoléon qui avait néanmoins un grand respect pour lui et peut-être peur de cet homme à la fois saint et impressionnant. Des témoignages de cette époque indiquent qu’EMERY était l’un des prêtres les plus respectés et les plus influents en France malgré l’ardeur anticléricale excessive qui suivit la Révolution française. Il encouragea la foi d’autres prêtres en face de telles épreuves et de telles tribulations.

Epuisé physiquement et émotionnellement, EMERY mourut le 28 avril 1811, laissant la voie libre à Napoléon qui supprima la Compagnie de Saint-Sulpice et ferma les séminaires sulpiciens en France. Les craintes d’EMERY se réalisèrent donc pendant un temps, jusqu’en 1814 quand l’ordre de dissoudre la Compagnie fut retiré après l’abdication de Napoléon.

Ce bref résumé de l’importance de Monsieur EMERY ne rend pas justice à sa vraie grandeur. Cependant, il donne un aperçu de la raison pour laquelle il vaut la peine de rappeler ce bicentenaire. Actuellement, les Sulpiciens considèrent Monsieur EMERY quasiment comme le “second fondateur” de la Compagnie : il fut le supérieur général qui lui permit de survivre malgré les graves dangers auxquels elle dût faire face à son époque.

Que son exemple puisse inspirer et continuer à vivre chez ses héritiers sulpiciens d’aujourd’hui !

 

Pour plus d’informations sur Monsieur EMERY, on peut consulter la bibliographie suivante :

Christopher J. KAUFFMAN, Tradition and Transformation in Catholic Culture (Macmillan, 1988), 33-41, 59-63.

Philippe MOLAC, Histoire d’un dynamisme apostolique : La Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice (Cerf, 2008), 77-93, 96-100.

Pierre BOISARD, La Compagnie de Saint-Sulpice : Trois Siècles d’Histoire Vol I (Paris), 181-203.

F.-M. PHILPIN DE RIVIERE, Vie de M. Emery, neuvième supérieur du séminaire et de la compagnie de Saint-Sulpice [par J.-E.-A. Gosselin], précédée [d’une notice sur l’auteur et] d’un précis de l’histoire de ce séminaire et de cette compagnie depuis la mort de M. Olier [par Philpin] (Paris : A. Jouby, 1861-1862).

Elie MERIC, Histoire de M. Emery et de l’Eglise de France (2 vol. ; Paris : V. Palmé, 1885).

Jean LEFLON. Monsieur Emery. L’Église d’ancien régime et la Révolution (Tome 1 ; Paris : Bonne Presse, 1945).

Jean LEFLON. Monsieur Emery. L’Église concordataire et impériale (Tome 2 ; Paris : Bonne Presse, 1946).