Le manuscrit des Aventures de Télémaque aux Archives de Saint-Sulpice
Depuis la publication des Aventures de Télémaque en 1699, ce sont plus de 550 rééditions que compte ce best-seller de la fin du XVIIème siècle. Sans compter les traductions dans d’autres langues, y compris hors d’Europe. Ces estimations, bien en deçà de la réalité nous permettent de prendre conscience de l’exceptionnel succès des Aventures de Télémaque.
C’est sans doute vers 1692 que Fénelon avait commencé la rédaction de son roman initiatique, paru pour la première fois en 1699 sans la permission de son auteur, sous le titre « Suite du quatrième livre de l'Odyssée d'Homère ou les avantures (sic) de Télémaque fils d'Ulysse ».
Le livre s’inscrit dans la lignée des textes pédagogiques composés par Fénelon, précepteur du duc de Bourgogne, pour l’éducation du jeune Louis de France, petit-fils de Louis XIV.
Nous savons que des copies du texte se mirent à circuler au sein des familles de sang royal puis dans le milieu de la cour dès l’automne 1698, alors que son auteur se trouve mis en difficulté par sa publication l’année précédente de son Explication des maximes des saints sur la vie intérieure où il défendait les positions de Madame Guyon dans la querelle dite du Quiétisme. Querelle qui l’opposera au célèbre prédicateur et évêque de Meaux Bossuet, avant que Rome ne le condamne à son tour le 12 mars 1699.
Au même moment, les éditeurs tentent de faire paraître les Aventures de Télémaque dont les copies continuaient de circuler sous le manteau. C’est ainsi que la veuve Barbin parvient à obtenir un privilège royal le 6 avril de la même année, en vue de publier le 1er tome. Mais, sitôt paru, les rumeurs sur le caractère subversif du roman conduisent le chancelier Boucherat à œuvrer pour que ce privilège soit révoqué, empêchant ainsi sa réédition.
Le succès immédiat de l’œuvre auprès des lecteurs vient répondre aux attentes de l’opinion publique en France et hors du Royaume, par ses critiques à peine déguisées de la politique du Roi-Soleil. Il n’est d’ailleurs pas totalement exclu que la circulation du manuscrit soit, pour son auteur, un acte volontaire.
La révocation du privilège royal qui empêchait la veuve Barbin de poursuivre la publication des tomes suivants n’empêchera cependant pas l’apparition rapide d’éditions clandestines en grand nombre afin de répondre à la demande croissante du public et ce, malgré l’interdiction et les saisies policières effectuées chez les libraires trop téméraires.
Il faudra attendre la mort de son auteur pour que soit publiée en 1717 à Paris une nouvelle édition officielle avec privilège, approbation et dédicace au roi Louis XV, due au marquis de Fénelon, petit-neveu de l’archevêque de Cambrai.
Le choix du contexte qui nous renvoie aux mythes homériques de la Grèce antique, s’il fait écho au classicisme si caractéristique du XVIIème siècle, prépare déjà la voie au Siècle des Lumières en cela qu’il vient rendre impossible toute légitimation religieuse du pouvoir royal à la différence de ce qu’avait pu composer Bossuet dans sa Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte.
Si l’œuvre est connue comme une critique de l’absolutisme et de la politique de Louis XIV, elle fera bientôt de l’archevêque de Cambrai ce qu’il n’avait sans doute jamais été, c’est-à-dire un adversaire de la monarchie en fonction des récupérations politiques dont il a pu faire l’objet au siècle de la Révolution.
M. Zakaria HILAL, archiviste de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice à Paris